Gouvernance, La Marina BJ – Au Bénin, la révision de la Constitution revient au cœur du débat institutionnel. Deux députés de la majorité présidentielle, Aké Natondé, président du groupe parlementaire Union Progressiste le Renouveau, et Assan Seïbou, président du Bloc Républicain, ont déposé une proposition de loi visant à créer un Sénat. Selon les auteurs, il ne s’agit pas d’une réforme de rupture, mais d’un ajustement nécessaire du régime afin de renforcer la cohésion nationale et de corriger les déséquilibres entre les pouvoirs observés depuis la révision de 2019.
Dans leur exposé des motifs, les députés rappellent que la Conférence nationale de février 1990 a jeté les bases de la démocratie béninoise moderne, en consacrant la liberté, le pluralisme et la protection des droits fondamentaux. Adoptée par référendum, la Constitution du 11 décembre 1990 a servi de socle à la stabilité politique et au développement du pays. Toutefois, après plus de trois décennies d’application, des dysfonctionnements institutionnels et systémiques ont été constatés. La révision constitutionnelle de 2019, bien qu’ayant permis d’importants progrès — abolition de la peine de mort, création de la Cour des comptes, parité hommes-femmes, reconnaissance de la chefferie traditionnelle —, n’a pas suffi, selon les initiateurs, à rendre irréversible l’élan de développement et de stabilité amorcé par le peuple béninois.
Un Sénat pour la stabilité, le consensus et la continuité
L’un des constats centraux de la proposition de loi repose sur la polarisation politique croissante, qui freine la mise en œuvre de solutions consensuelles aux problèmes de développement national. Pour y remédier, les députés Aké Natondé et Assan Seïbou proposent la création d’un Sénat, organe institutionnel chargé de rapprocher les forces politiques divergentes et d’arbitrer les grandes orientations de l’action publique dans un esprit de concertation.
Loin d’être une duplication de l’Assemblée nationale, le Sénat serait une chambre de réflexion, de veille et de stabilité démocratique. Sa mission serait de garantir la continuité de l’État, la sauvegarde des acquis démocratiques et la cohésion nationale. Il constituerait également un levier pour renforcer les libertés publiques, la qualité de la gestion des biens communs et la concorde nationale — conditions essentielles d’un développement durable et équilibré.
Selon le texte soumis à l’Assemblée nationale, le Sénat aurait plusieurs missions majeures. Il contribuerait à la sauvegarde et au renforcement des acquis démocratiques ainsi qu’à la sécurité nationale, veillerait à la stabilité politique, à la défense du territoire et à la cohésion nationale. Il délibérerait sur les propositions de loi à caractère politique et sur les questions touchant à la dévolution du pouvoir d’État. En outre, il pourrait demander une seconde lecture de toute loi adoptée par l’Assemblée nationale, sauf celles relatives aux finances, et, en cas de désaccord persistant, trancher en lecture définitive. L’idée centrale est de permettre un second regard institutionnel sur les grandes décisions politiques et d’éviter les blocages ou les dérives unilatérales.
Une composition fondée sur l’expérience et la compétence
La proposition détaille également la composition du Sénat, fondée sur le principe d’expérience. Y siègeraient de droit les anciens présidents de la République, les anciens présidents de l’Assemblée nationale, les anciens présidents de la Cour constitutionnelle, ainsi que les anciens chefs d’état-major des forces armées et de sécurité. Tous ces membres, par leur vécu institutionnel, incarneraient la mémoire de l’État et garantiraient une approche non partisane des débats.
En complément, le président de la République et le président de l’Assemblée nationale pourraient désigner chacun des membres supplémentaires, dans la limite d’un quota n’excédant pas un cinquième du total. Cette architecture vise à faire du Sénat un espace de compétence et de sagesse, non une instance de compétition politique.
Une réforme de consolidation, non de confrontation
Interrogé sur la portée du projet, le député Assan Seïbou a indiqué que la création du Sénat répond à un besoin institutionnel précis : « Il y a quelque chose qui manquait dans le dispositif institutionnel du pays. Certaines questions sont réglées par arrangement… Chaque fois qu’il y a une situation, nous faisons appel à nos anciens chefs d’État, à nos anciens responsables d’institution, des personnes ressources expérimentées. Il faut trouver un creuset où ils puissent se retrouver tous. Et cela s’appelle le Sénat. »
Selon le député, déjà à l’origine de la révision avortée de 2024, l’actuelle législature ne peut pas « se terminer sans oser demander la révision de la Constitution pour que cet organe voie le jour ». De son côté, le député Victor Topanou, au micro de la télévision nationale, a tenu à rassurer l’opinion : « Les Béninois n’ont pas de raison d’avoir peur. Il y a une réflexion que nous avons engagée depuis quelque temps sur le rééquilibrage des pouvoirs. Et je pense que c’est dans ce sens que nous allons. »
L’ancien garde des Sceaux estime qu’en principe, « rééquilibrer les pouvoirs dans un régime, c’est ce qu’il y a de mieux à faire » et considère que « tout le monde est d’accord sur le fait que l’exécutif était devenu trop puissant ». L’élu du parti Union Progressiste le Renouveau précise que le cadre de réflexion portera sur une réduction relative du pouvoir exécutif, afin de redonner davantage de prérogatives au législatif : « Nous allons rester dans le cadre de cette réflexion », conclut-il.