Business, Bénin – Longtemps empêtré dans un différend complexe autour du câble sous-marin ACE, le groupe Vivendi Africa a fini par dénouer, à l’amiable, un litige à plusieurs milliards de francs CFA avec l’État béninois. La Marina BJ a consulté le protocole transactionnel conclu en mai 2024 et validé par la justice en mars 2025. Ce règlement a ouvert la voie au lancement du service Canalbox au Bénin, effectif depuis avril dernier. Décryptage.
Le 30 avril 2025, dans un hôtel de Cotonou, les flashs crépitent. Des personnalités publiques, des dirigeants de GVA Bénin et des partenaires techniques célèbrent le lancement officiel de Canalbox, service d’accès à Internet par fibre optique illimitée. L’événement, à première vue anodin dans un secteur en constante mutation, marque en réalité l’aboutissement d’une médiation juridique et économique à haut risque, restée longtemps hors des radars.
À l’origine, un conflit larvé autour du groupement Bénin ACE et de la gestion du câble sous-marin Africa Coast to Europe (ACE), infrastructure cruciale pour la connectivité du pays.
Quand l’État s’oppose à une dissolution
C’est en décembre 2018 que le groupement Bénin ACE GIE, entité chargée d’exploiter le câble ACE au Bénin, s’est retrouvé dans le collimateur du régulateur. L’ARCEP lui intime alors l’ordre de cesser toute activité, estimant qu’il ne dispose d’aucune base légale pour opérer. Une décision brutale, mais révélatrice du flou juridique qui entoure la gouvernance numérique dans le pays avant le régime de la rupture. Le GIE, fondé en 2015, rassemblait à l’époque les principaux opérateurs du pays : Bénin Télécoms, Moov, MTN, Isocel, Libercom, EIT (repris plus tard par Canal box), OTI et Univercel.
Mais avec les restructurations du secteur et l’absorption de Bénin Télécoms par la SBIN, bras technologique de l’État sous le régime de la rupture, le GIE entre dans une phase de déclin, miné par les conflits d’intérêts et des contentieux internes. La société Canalbox Bénin SA, filiale de GVA, en devient un actionnaire marginal… mais stratégique.
En 2021, Canalbox Bénin demande sa dissolution volontaire, une procédure classique de retrait d’un groupement. Refus immédiat de la SBIN, qui saisit le Tribunal de commerce de Cotonou, arguant que la société Canalbox Bénin S.A. a bénéficié de ses prestations même après la dissolution du Bénin ACE GIE. Le jugement du 21 octobre 2022 (N°032/22/CJ/SI/TCC), que La Marina BJ a pu consulter, tranche sans ambages : Canal box est débiteur de SBIN, et l’affaire se retrouve en appel, avec Canalbox comme appelante. Entre-temps, Canal+ International est entraînée dans la procédure, contrainte de s’expliquer sur la gestion du GIE et l’origine des créances croisées.
Les termes du deal : concessions et contreparties
La tension est autant financière que politique. En appel Canalbox réclame à la liquidation du GIE une créance de 1,749 milliard FCFA, correspondant à ses investissements dans le câble ACE. En face, la SBIN et la Caisse Autonome de Gestion de la Dette (CAGD) lui opposent respectivement des créances de 71,8 millions et 954,5 millions FCFA. En coulisses, des négociations discrètes s’engagent entre les parties.
Le 22 mai 2024 soit presque six mois avant l’autorisation en conseil des ministres à GVA pour déployer son offre d’internet haut débit, un protocole d’accord transactionnel est signé entre Canalbox Bénin SA, l’État béninois (représenté par l’Agent judiciaire du Trésor), la SBIN, la CAGD et GVA Bénin SAS.
Selon le texte consulté par La Marina BJ, les engagements réciproques sont clairs. Du côté de l’État béninois, de la SBIN et de la CAGD il est mentionné la renonciation à leurs créances totalisant plus d’un milliard FCFA ; abandon de toutes les procédures en cours contre Canalbox ; autorisation de la dissolution de Canalbox Bénin SA sans opposition ; engagement à ne pas faire obstacle à l’entrée en service de GVA.
Du côté de Canalbox Bénin SA, la renonciation à sa créance de 1,749 milliard FCFA ; cession de ses droits sur la station d’atterrissement du câble ACE à la SBIN ; abandon de toute prétention à des tarifs préférentiels ou droits historiques liés à sa participation au GIE ; engagement à ne jamais poursuivre l’État, la SBIN ou la CAGD pour les faits antérieurs à l’accord. Et enfin Pour GVA Bénin , l’engagement à démarrer effectivement ses services dans les 12 mois suivant l’accord, faute de quoi le protocole devient nul.
Validation judiciaire et ouverture des vannes
Le 21 mars 2025, la Cour d’appel de Cotonou rend un arrêt d’homologation qui confère au protocole transactionnel force exécutoire, conformément à l’article 469 du Code de procédure civile. Le texte souligne que le GIE Bénin ACE, en liquidation, n’est pas partie à l’accord, mais ne peut en bloquer l’application.
L’obstacle juridique levé, l’État béninois accorde à GVA un agrément au Code des investissements lors du Conseil des ministres du 27 novembre 2024, pour le déploiement d’un réseau de fibre optique à Cotonou et Abomey-Calavi. Le terrain est enfin libre.
Peut-on dire que ce protocole marque une avancée pour la régulation du numérique au Bénin ? Selon notre spécialiste à la rédaction « Absolument. Ce protocole clarifie des années de flou juridique. Il montre que l’État a repris la main sur des infrastructures critiques tout en redonnant de la lisibilité aux opérateurs. C’est une manière de dire : “investissez, mais dans un cadre balisé”. »
Et à la question de savoir si le coût pour l’État est élevé ? Notre spécialiste à la rédaction pense qu’« Il y a eu abandon de créances, c’est vrai. Mais il faut comparer cela à la valeur du risque juridique évité et aux retombées à long terme : création d’emplois, fiscalité, modernisation du réseau. L’État a troqué du passif incertain contre un actif stratégique structurant. »
En conclusion, le protocole transactionnel est donc une victoire tactique, diplomatique et économique pour le gouvernement du président Patrice Talon. Sur le plan opérationnel et stratégique, l’État béninois a réussi à mettre fin à un litige sans débours, à récupérer des actifs numériques clés, à encadrer un investisseur international tout en renforçant la régulation du secteur.