Justice, Bénin – Le deuxième jour du procès de l’affaire Dangnivo a été marqué par la présentation des conclusions des experts en médecine légale et l’audition de plusieurs témoins clés. Si l’analyse ADN a confirmé que les restes retrouvés à Womey en 2010 appartiennent bien à Pierre Urbain Dangnivo, des contradictions notables ont émergé entre témoins et accusés, soulevant des zones d’ombre.
Premier appelé à la barre, l’officier Enock Laourou, aujourd’hui contrôleur général de la police républicaine, occupait des fonctions stratégiques dans le renseignement béninois au moment des faits. Interrogé sur l’affaire Dangnivo, il a assuré n’avoir rien su de sa disparition, si ce n’est par la presse. Pourtant, ses déclarations sur une présumée tentative d’évasion en 2012 de Codjo Alofa, principal accusé, sont vivement contestées.
Selon Laourou, Alofa aurait agressé un colonel avant de tenter de s’évader. Mais Donatien Amoussou, co-accusé, rejette cette version. « C’était moi, et non Alofa. Comment pouvais-je m’évader alors que j’étais menotté ? », a-t-il protesté. Il accuse Enock Laourou de manipulation et affirme avoir été placé en isolement pendant 62 jours après avoir refusé d’endosser la responsabilité du meurtre de Dangnivo.
Face au tribunal, les échanges se tendent. Donatien Amoussou soutient que l’officier de police ment, tandis que ce dernier assure ne pas connaître l’accusé. Une affirmation immédiatement réfutée par Amoussou : « Lui et moi, on se connaît très bien. »
Évasion de Codjo Alofa : incohérences sur la traque
Le débat s’est ensuite orienté sur la spectaculaire évasion de Codjo Alofa en 2015. Enock Laourou affirme avoir traqué le fugitif grâce à son numéro de téléphone. « Nous avons repéré un appel, ce qui nous a permis de savoir qu’il était au Togo », explique-t-il. Mais Alofa réfute : « On utilise des portables en prison ? Je n’en avais pas. »
L’accusé va plus loin en révélant les circonstances de sa fuite. « Ceux qui m’ont fait évader portaient des cagoules », affirme-t-il, avant de rappeler qu’une fois au Togo, il s’est lui-même rendu à la police locale pour être extradé vers le Bénin. Un détail que son avocat, Me Théodore Zinflou, corrobore en évoquant les pressions subies par son client après son retour.
L’expertise ADN confirme l’identité du corps
L’après-midi a été marquée par la présentation des résultats d’une contre-expertise ADN menée par Guillaume Monique, un médecin légiste français. Les analyses génétiques, réalisées à la demande de la famille Dangnivo, confirment que les restes humains retrouvés à Womey en 2010 sont bien ceux de Pierre Urbain Dangnivo, avec une compatibilité de 99,99 % avec ses enfants.
Le professeur Anatole Lalèyè, expert béninois en biologie, a corroboré ces résultats en rappelant que son analyse de 2018 aboutissait à la même conclusion. « La bande paternelle de chacun des enfants est présente, la paternité est supérieure à 99,99 % », a-t-il détaillé.
Des incohérences dans l’examen du corps
L’audience s’est poursuivie avec le témoignage du médecin légiste Clément Kpadonou, auteur de l’autopsie initiale. Son rapport de 2010 mentionne une taille de 1,67 m pour le corps retrouvé, une donnée contestée par Me Olga Anassidé, avocate de la partie civile.
Autre point troublant, l’existence d’un bocal contenant des organes humains, présenté par un des accusés comme des restes de Dangnivo. Kpadonou avoue ne pas pouvoir identifier aujourd’hui la personne qui lui a remis ce bocal.
Quant à la cause du décès, l’expert décrit des blessures graves : « Enfoncement de l’os frontal, écrasement de la face… » Mais il reconnaît ne pas pouvoir certifier si le corps a été déplacé avant d’être enterré à Womey.
Au tour d’un ex ministre
Bernard Lani Davo, ministre de l’Enseignement secondaire et technique entre 2008 et 2010, a surpris le banc des accusés dès sa première réponse. Interrogé sur une éventuelle connaissance de Donatien Amoussou, présumé complice dans l’affaire Dangnivo, il a répondu sans détour : « Non, je ne le connais pas. »
L’ancien ministre a ensuite relaté un épisode troublant : peu après son départ du gouvernement, il aurait cherché en vain à rencontrer l’ex-président Boni Yayi. Un jour, il reçoit un appel d’un militaire se présentant comme membre de la garde rapprochée du chef de l’État. Ce dernier lui aurait demandé, au nom de Boni Yayi, d’apporter une somme de 200 000 FCFA à un détenu nommé Amoussou à la prison civile de Missérété. Davo dit avoir refusé, expliquant qu’il ne disposait pas d’une telle somme. Face à l’insistance du militaire, il finit par se rendre à la prison pour remettre 50 000 FCFA au prisonnier, précisant que c’était la seule fois où il avait rencontré l’accusé Donatien.
Mais cette version est contestée par Donatien Amoussou. L’accusé affirme que Bernard Lani Davo l’a visité à plusieurs reprises et lui a remis des enveloppes plus importantes, notamment en 2013 (150 000 FCFA, puis 200 000 FCFA). Il soutient également que l’ex-ministre s’occupait de son abonnement à Canal+. Face à ces accusations, Davo reste ferme : il maintient n’avoir rencontré Amoussou qu’une seule fois. Pourtant, ce dernier rappelle que lors de l’instruction, l’ancien ministre avait initialement nié toute visite en prison avant de se raviser, après que son nom a été retrouvé dans les registres carcéraux.
Un ex-commissaire sous pression
Après le témoignage de l’ancien ministre, le tribunal a entendu l’ex-commissaire de police Prince Mohamed Alédji, membre de la commission d’enquête sur la disparition de Pierre Urbain Dangnivo. Il affirme avoir été enquêteur dans cette affaire et assure qu’il ne connaissait aucun des accusés avant l’enquête.
Selon lui, c’est un renseignement fourni par Grégoire Dangnivo, frère de la victime, qui a permis de remonter la piste d’une femme ayant eu un enfant avec Pierre Urbain Dangnivo. Cette femme aurait menacé la victime, ce qui aurait conduit les enquêteurs à Codjo Alofa, principal suspect. Alédji soutient que c’est Alofa qui a identifié Donatien Amoussou comme son complice. « On lui a présenté trois personnes, y compris Amoussou », déclare l’ex-policier.
Cependant, la défense a relevé plusieurs zones d’ombre. D’une part, Alédji admet qu’aucune preuve matérielle ne relie Donatien Amoussou au crime, en dehors des déclarations d’Alofa. D’autre part, Alofa lui-même dénonce des pressions. Il accuse Alédji de lui avoir soufflé le nom d’Amoussou et d’avoir orchestré son identification en prison.
Alofa va encore plus loin en accusant l’ex-commissaire de manipulation. « Il m’a demandé d’affirmer que c’est Amoussou qui a apporté la potion ayant tué Dangnivo. Il m’a torturé et menacé de m’attacher une pierre au cou pour me jeter à la mer », déclare-t-il sous serment.
Reprise de l’audience ce jeudi 13 mars 2025.
Par D.B, Collaborateur extérieur