Société & Économie, La Marina BJ – Au Bénin, les aspirations à l’émigration reculent légèrement, les étrangers sont perçus comme utiles mais accueillis avec réserve, tandis que la volonté d’ouverture économique reste largement partagée. C’est le triple constat que dresse le 10ᵉ round d’Afrobarometer, dont les résultats, publiés le 26 août 2025, éclairent les dynamiques sociales et économiques d’un pays au carrefour des routes migratoires ouest-africaines.
Le Bénin, un pays dont la population rêve encore d’ailleurs, mais moins qu’hier. En Afrique subsaharienne, région la plus jeune et l’une des plus dynamiques au monde, la migration reste un choix stratégique, souvent dicté par la précarité. Le Bénin ne fait pas exception selon le rapport d’Afrobarometer : quatre citoyens sur dix disent avoir pensé à quitter le pays. Mais cette proportion, qui atteignait 46 % en 2017, recule à 40 % en 2024.
Ce reflux, modeste mais significatif, traduit l’effet combiné d’une stabilisation politique, d’investissements soutenus dans les infrastructures et d’une transformation économique progressive. Il reflète aussi un climat mondial moins favorable à l’immigration africaine, notamment en Europe.
Chez les aspirants au départ, les profils se dessinent clairement : jeunes diplômés, citadins, hommes et membres des classes moyennes. Leurs motivations sont d’abord économiques : recherche d’emploi (37 %), difficultés financières (28 %), pauvreté (14 %) ou quête d’opportunités d’affaires (6 %). La moitié d’entre eux envisagent une destination africaine, principalement le Nigéria (23%), l’autre moitié tournant leurs regards vers l’Europe (20%) ou l’Amérique du Nord (18%).
Une immigration perçue comme bénéfique, mais sous contrôle
Dans ce pays de transit et d’accueil, où commerçants nigérians, artisans togolais et entrepreneurs ivoiriens se côtoient dans les marchés et les villes, la perception des étrangers est plutôt favorable. 64 % des Béninois interrogés estiment que leur présence stimule l’économie nationale. Mais cette reconnaissance ne s’accompagne pas d’un appel à ouvrir grand les portes : seuls 27 % souhaitent accueillir davantage de travailleurs étrangers, et 25 % se disent favorables à l’accueil accru de réfugiés.
D’après notre spécialiste à la rédaction << ce paradoxe illustre une lucidité pragmatique à savoir que l’apport économique des étrangers est reconnu, mais le marché du travail local, déjà sous tension, nourrit une prudence généralisée.>> Dans la sphère privée toutefois, l’ouverture reste de mise : plus de 85 % des Béninois interrogés se disent indifférents ou favorables à avoir des étrangers pour voisins.
Sur le plan régional, les Béninois plébiscitent l’idée d’une sous-région intégrée. Trois quarts des sondés soutiennent la libre circulation des personnes en Afrique de l’Ouest. Pourtant, 78 % estiment que franchir les frontières régionales est aujourd’hui difficile, voire très difficile.
Ce contraste illustre une fracture structurelle entre les aspirations populaires et la réalité administrative et sécuritaire de l’intégration régionale. Le Bénin, réputé stable et ouvert, se heurte aux mêmes obstacles que ses voisins : lourdeurs bureaucratiques, contrôles renforcés, tensions sécuritaires dans le Sahel.
L’ouverture commerciale, un consensus national
Au-delà des migrations, l’enquête Afrobarometer révèle un consensus massif autour de l’ouverture économique : 83 % des répondants souhaitent que le gouvernement développe les échanges commerciaux avec tous les pays du monde. Plus encore, 70 % préfèrent une stratégie commerciale globale plutôt qu’une focalisation exclusive sur l’Afrique.
Pourtant, ce désir d’ouverture se heurte à un déficit criant de connaissances sur les grands projets d’intégration. La Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAf), instrument phare de l’intégration économique continentale, reste méconnue : seuls 8 % des Béninois interrogés déclarent en avoir entendu parler.
Réalisée entre janvier et février 2024 par Innovante Recherche en Économie et Gouvernance (IREG), l’enquête Afrobarometer repose sur un échantillon de 1 200 adultes, représentatif à l’échelle nationale, avec une marge d’erreur de ±3 points. Elle offre un miroir précis des perceptions citoyennes à savoir que l’aspiration à l’émigration reste forte, mais recule et que l’immigration est vue comme une richesse économique, sous réserve d’un contrôle raisonné. Aussi l’intégration régionale est plébiscitée, mais freinée par les réalités politiques. Et enfin l’ouverture commerciale s’impose comme une ambition nationale.
Pour les décideurs béninois, ce sondage constitue un outil stratégique. Il éclaire les tensions entre ouverture et prudence, désir de mobilité et obstacles administratifs, mais aussi la volonté citoyenne d’une insertion économique mondiale, à laquelle l’État devra répondre par des politiques plus ambitieuses et une communication accrue autour des projets continentaux comme la ZLECAf.