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Bénin : Gilles Badet appelle à “prendre au sérieux” le contentieux électoral

Opinion, La Marina BJDans une tribune lucide publiée sous le titre « Et si on prenait au sérieux le contentieux constitutionnel et le contentieux électoral dans mon pays ? », Gilles Badet, ancien secrétaire général de la Cour constitutionnelle du Bénin, met en lumière les fragilités persistantes du droit électoral béninois. L’expert en gouvernance démocratique y plaide pour une révolution de culture juridique, dénonçant la manière dont le pays aborde encore le contentieux électoral comme une formalité politique plutôt qu’une discipline technique.

À l’en croire, la faiblesse du Bénin n’est pas institutionnelle, mais intellectuelle : le pays souffre d’un manque de maîtrise des règles de procédure, des délais et des subtilités juridiques propres à cette matière. Pour Gilles Badet, le contentieux électoral n’est toujours pas perçu comme une discipline de haute technicité. Il rappelle que le droit électoral n’est pas un prolongement du droit administratif ou civil, mais un univers juridique autonome régi par ses propres mécanismes, délais et contraintes.

Pourtant, observe-t-il, la majorité des acteurs politiques et juridiques — avocats, magistrats, élus ou juristes de partis — ignorent la portée de ces spécificités et agissent souvent en dehors des délais légaux. Les conséquences sont immédiates : des requêtes mal formulées, des recours déposés hors délai et des décisions devenues inévitables par simple inattention.

Ce déficit de rigueur, estime-t-il, explique pourquoi tant de recours électoraux échouent avant même d’être examinés sur le fond. L’exemple récent du parti Les Démocrates, dont la candidature à la présidentielle de 2026 a été invalidée pour des erreurs de procédure, illustre cette faiblesse structurelle.

Une faille structurelle dans la formation juridique

Dans sa tribune, Gilles Badet met également en cause le système de formation. À l’École de la magistrature, explique-t-il, le contentieux constitutionnel a été réduit à la procédure d’exception d’inconstitutionnalité, écartant toute réflexion sur les rapports entre le juge constitutionnel et les juridictions ordinaires, pourtant redéfinis depuis la réforme organique de 2022. Il déplore que la formation des avocats soit elle aussi lacunaire : aucun module spécifique n’est consacré au contentieux électoral, alors même que plusieurs recours sont rejetés chaque année pour défaut de compétence ou de motivation.

Le juriste souligne que certains universitaires refusent encore d’actualiser leurs connaissances, se retranchant derrière leur diplôme plutôt que de s’ouvrir à la technicité de cette matière « spéciale et dérogatoire ». D’après lui, cette inertie académique nourrit la méconnaissance générale du contentieux électoral, un domaine qui exige pourtant précision, rapidité et expertise.

La Cour constitutionnelle, victime d’un malentendu permanent

L’un des apports majeurs de la tribune de Gilles Badet est de replacer la Cour constitutionnelle dans son rôle réel : celui d’un juge du droit, non d’un arbitre politique. Il insiste sur le fait que la Cour est souvent accusée à tort de partialité, alors que la plupart des rejets de recours résultent d’erreurs de procédure ou de méconnaissance des règles de saisine. À ses dires, le problème ne vient pas de la Cour, mais de la mauvaise compréhension des conditions de recevabilité et de compétence.

Depuis la réforme de 2022, la Cour n’est plus une juridiction isolée mais un maillon d’un écosystème judiciaire cohérent, travaillant en lien avec les juridictions ordinaires. Ignorer cette évolution, écrit-il, revient à “se condamner à répéter les mêmes erreurs d’élection en élection”. En d’autres termes, les acteurs politiques et juridiques continuent de reproduire des fautes déjà sanctionnées, transformant chaque cycle électoral en une leçon non apprise.

Pour une révolution de compétence

Dans un passage empreint de lucidité, Gilles Badet interpelle directement ses pairs. Il leur adresse un appel à la responsabilité intellectuelle : « Chers collègues juristes béninois, très brillants dans vos différentes matières de spécialité, comment voulez-vous que l’opinion publique, en particulier les journalistes, nous prennent au sérieux en matière de contentieux électoral ? » Pour lui, la solution ne réside pas dans une refonte institutionnelle mais dans une révolution de compétence.

L’universitaire appelle à une meilleure formation continue, à une documentation accessible sur la jurisprudence constitutionnelle et à une compréhension partagée de la rigueur procédurale. En conclusion de sa tribune, il martèle :
« Le contentieux constitutionnel et le contentieux électoral, malgré le soupçon de pression politique, sont devenus des disciplines largement techniques qui ne demandent qu’à être prises au sérieux. »
Cette phrase, devenue centrale, résume sa pensée : le droit électoral béninois ne souffre pas d’un manque de textes, mais d’un manque de méthode.

Loin d’un pamphlet politique, la tribune de Gilles Badet se lit comme un avertissement adressé à toute la chaîne des acteurs du droit. Elle invite à considérer le contentieux électoral non comme un champ de confrontation politique, mais comme une science juridique à part entière. Dans cette perspective, la solidité de la démocratie béninoise ne dépend pas de la seule qualité des lois adoptées, mais de la rigueur avec laquelle elles sont comprises, enseignées et appliquées. En rappelant cette vérité simple mais exigeante, Gilles Badet redonne au droit électoral sa place de pilier de la démocratie. Tant que les acteurs le traiteront comme un théâtre politique plutôt que comme une discipline technique, le pays continuera de confondre crise politique et déficit de droit.

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