Business, Bénin – Sobres dans la forme, lourds de signification sur le fond. L’échange entre le chef de l’État, Patrice Talon, et une poignée de grands patrons, tenu le vendredi 18 juillet 2025 au palais de la présidence de la République, n’a pas donné lieu à des annonces fracassantes. Pourtant, pour qui observe attentivement les dynamiques du pouvoir et les frémissements du secteur privé, il s’y joue peut-être un tournant discret, mais stratégique.
Ni estrade, ni discours pompeux, selon les médias présents. Une grande salle, des chefs d’entreprise venus du BTP, de la finance, du secteur maritime ou de l’agro-industrie — OFMAS, BIIC, Coris Bank, AGL, entre autres — réunis autour du président de la République et de quelques membres de son gouvernement, à quelques mois de la fin de son second et dernier mandat.
Le moment est particulier. L’économie béninoise se trouve à un carrefour : croissance maîtrisée, infrastructures toujours en cours de modernisation, mais un secteur privé, qui se disait récemment encore, plus ou moins sous pression fiscale et contraint dans ses ambitions d’expansion. C’est dans ce contexte que le Groupe de Travail Fiscalité (GTF) a récemment rendu publique une plateforme de 11 propositions (LMBJ DU 17/07/2025 )destinées à « améliorer le climat des affaires ». Et même si la rencontre avec le chef de l’État avait été fixée bien avant cette publication du GTF, difficile de croire qu’aucune des préoccupations de la plateforme 2025 n’a été évoquée, que ce soit dans les discussions formelles ou informelles.
Patrice Talon, chef d’orchestre d’une croissance encadrée
Dans son adresse, Patrice Talon a réaffirmé les fondamentaux de sa vision économique à savoir rigueur, crédibilité, discipline. « Mon souhait est que le Bénin, qui doucement montre qu’un pays peut se développer, aussi petit soit-il, qu’il ait des ressources minières ou non, qu’il ait ou non la grâce d’avoir du pétrole, du bois ou ceci, cela — nous ne l’avons pas — mais nous montrons très bien que même sans cela, on peut se développer pas à pas, si l’environnement permet à chacun, du plus petit au plus grand, de travailler », a déclaré le chef de l’État.
Ce qui transparaît derrière ce propos, c’est un État qui entend demeurer maître du tempo, soucieux de préserver ses recettes internes — lesquelles ont permis de s’affranchir progressivement des conditionnalités extérieures — tout en projetant une image d’ouverture vis-à-vis des investisseurs. Mais le chef de l’État a aussi glissé un signal à peine voilé : le secteur privé est attendu, mais il doit jouer selon les règles définies par la puissance publique. D’après Patrice Talon, peu importe le statut « Si l’environnement est bon et que tout le monde travaille, on peut se développer », a-t-il déclaré, avant d’ajouter qu’il est important que « l’écosystème actuel soit attractif. »
Face à cette ligne présidentielle, les récentes propositions du secteur privé sonnent comme un appel à l’équilibre. Parmi les propositions majeures de la plateforme 2025, on peut citer la réduction de l’impôt minimum à 250 000 FCFA pour les personnes physiques ; la révision du taux unique de 5 % de la taxe professionnelle synthétique (TPS), jugé trop confiscatoire, pour revenir à 2 % ; la création d’un statut fiscal spécifique pour le numérique ; ou encore l’exonération de TVA sur les produits agricoles transformés localement. À première vue, un corpus technique. Mais en creux, un message politique où le secteur privé demande plus de reconnaissance, plus de prévisibilité et un meilleur partage de l’effort fiscal.
Ce qui pourrait changer : un début de codécision ?
Le président Patrice Talon n’a pas promis de révolution fiscale selon les éléments rapportés . Mais ce rendez-vous pourrait bien entériner une évolution dans les rapports entre l’État et les acteurs économiques : celle d’un dialogue structuré, moins vertical, plus stratégique.
Certaines propositions de la plateforme 2025 ont d’ailleurs toutes les chances de prospérer. L’harmonisation du taux de l’AIB (1 % pour les immatriculés IFU, 5 % pour les autres), par exemple, ou la formalisation des marges dans le secteur du BTP, souvent piégé par l’informalité des circuits d’approvisionnement. Ce sont des mesures qui n’impliquent pas nécessairement une perte sèche pour le Trésor public, mais qui envoient un signal de confiance aux opérateurs économiques.
Autre levier crédible c’est le remboursement encadré des crédits AIB non utilisés. Là encore, le message n’est pas tant fiscal que psychologique. Il s’agit de créer un climat où la parole de l’administration fiscale inspire confiance. Parmi les autres mesures portées par le GTF et susceptibles d’être validées, surtout après cette rencontre, on peut citer : la facilitation de l’accès aux autorités fiscales des groupements et associations professionnels tels que l’APBEF-Bénin, l’APCM-Bénin, l’ADAC, l’ABP Bénin, l’ANECA, etc. ; la création par la DGI d’un statut fiscal spécifique pour les activités du numérique en ligne ; la digitalisation et la simplification de la procédure de déclaration de cessation provisoire ou définitive d’activité pour toutes les entreprises.
Ce qui ne bougera sans doute pas : la ligne rouge des recettes
Mais sur d’autres points de la plateforme 2025 du GTF, les lignes semblent trop rigides pour bouger à court terme. La réduction de l’impôt minimum, le retour en arrière sur le taux de TPS ou l’idée d’un allègement général de la charge fiscale risquent de se heurter au mur du réalisme budgétaire. L’État béninois, engagé dans une dynamique de mobilisation accrue des recettes domestiques, acceptera-t-il de revoir certains de ses principaux leviers fiscaux ? L’équation est délicate.
Alors que plusieurs propositions du GTF peuvent paraître techniquement justifiées et raisonnables, d’autres, comme la baisse de l’impôt minimum ou la réduction de la TPS à 2 %, impliqueraient des pertes de recettes non négligeables, dans un contexte où les besoins budgétaires de l’État ne faiblissent pas.
Ces dernières années, l’exécutif a déjà prévu une hausse significative des dépenses sociales, des investissements publics et des engagements sur les marchés financiers — autant de chantiers qui exigent de préserver, voire d’augmenter, la base fiscale. Dans ce contexte, chaque concession faite au secteur privé devra être compensée par un élargissement de l’assiette ou une hausse de la conformité.
Toutefois, ce qui est sûr, c’est que ce tête-à-tête pourrait inaugurer un nouvel âge du dialogue public-privé au delà du régime actuel. Moins politisé, plus technique. Moins frontal, plus tactique.