Justice, Bénin – L’avis 21/2024 rendu par le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire (GTDA) continue de susciter de vifs débats. Pour la première fois, un organe onusien d’une telle envergure pointe du doigt un « procès irrégulier » et réclame des réparations.
Dans un entretien accordé au quotidien Matin Libre, disponible en intégralité dans la parution de ce jeudi (21-11-2024), Me Jacques Bonou, membre du collectif des avocats du professeur Aïvo, décrypte cet avis qui, selon lui, « vient remettre les pendules à l’heure et le droit à sa place ».
Un avis « sans précédent » au Bénin
« L’avis 21/2024 est sans précédent au Bénin », insiste Me Bonou, avant de préciser tout comme l’avis du GTDA que « Les violations des droits de M. Aïvo sont d’une gravité telle qu’aucun procès n’aurait dû avoir lieu ».
L’avocat, qui a plaidé le dossier, rappelle les nombreuses irrégularités qui ont entaché le processus judiciaire : une arrestation en violation du code de procédure pénale, l’absence totale de preuves, et des co-accusés qui, à la barre, ont nié tout lien avec Joël Aïvo. Malgré cela, un verdict expéditif de dix ans de prison a été prononcé. « Ce type de procès irrégulier, à bien des égards, ne peut être validé par aucune instance sérieuse où l’on applique le droit et les principes judiciaires », martèle-t-il.
« En termes clairs, Joël Aïvo n’a été arrêté, détenu et condamné qu’à cause de ses opinions politiques. Qui en doutait encore au Bénin ? », s’interroge Me Bonou. Une affirmation qui trouve écho dans l’avis du GTDA, lequel qualifie cette affaire de « punition politique » infligée à un homme dont les engagements dérangent.
Le professeur Aïvo n’est pas un simple citoyen, rappelle son avocat dans l’interview. Sa contribution à la promotion du droit et à la consolidation des acquis démocratiques, tant au Bénin qu’en Afrique, a été saluée par les Nations Unies. « C’est pour cette raison que le Groupe de travail a décidé de renvoyer son dossier à la Rapporteuse spéciale de l’ONU sur les défenseurs et défenseuses des droits humains », explique Me Bonou. Une reconnaissance qui confère une dimension internationale à cette affaire.
Un silence lourd de sens du gouvernement béninois
Si les conclusions du GTDA marquent un camouflet pour la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (CRIET), l’attitude du gouvernement béninois dans cette procédure suscite également des interrogations. Interpellé par les experts onusiens, le gouvernement a choisi de garder le silence. Pourquoi ? Me Bonou avance deux hypothèses. La première : « La victime de cette injustice, vous la connaissez et le gouvernement de notre pays la connaît très bien. Il s’agit de Joël Aïvo ». La seconde : la redoutable compétence de l’équipe de défense dirigée par le professeur Ludovic Hennebel, avocat international et expert reconnu en droit des droits de l’homme. « Face à Joël Aïvo et Ludovic Hennebel, le gouvernement avait peu de chance de s’en sortir », analyse Me Bonou.
Face à ces constats accablants, l’avocat appelle le président Patrice Talon à agir. « Je formulerai trois doléances : d’abord, je voudrais inviter le président Talon à ordonner la libération du professeur Joël Aïvo. Ensuite, qu’il envisage la réparation des préjudices, et enfin, qu’il utilise les moyens en sa possession pour remédier aux causes et facteurs qui ont conduit les autorités en charge de la justice à infliger un tel supplice à un citoyen », plaide Me Bonou.
Alors que le président Patrice Talon s’est lui-même appuyé par le passé sur des juridictions internationales pour défendre ses droits, l’avocat invite à un retour à l’essentiel : le respect des engagements pris. « Les hommes sont de passage et seul l’État est éternel », conclut-il. Une manière de dire que la justice, bien plus qu’un enjeu personnel, reste l’âme d’une nation.