Opinion – Dans une tribune, dont La Marina BJ a obtenu copie, l’ancien ministre béninois Luc Gnacadja livre une réflexion profonde sur les enjeux de justice et de souveraineté pour l’Afrique. Alors que l’Union africaine a désigné 2025 comme « l’année de la justice pour les Africains et les personnes d’ascendance africaine par les réparations », le président de GPS-Development pose un regard critique sur cette initiative et alerte sur la nécessité de redéfinir la quête de justice du continent.
Selon lui, l’Afrique ne doit pas se contenter d’attendre une réparation extérieure ; elle doit se réapproprier son destin par la conquête de sa souveraineté intellectuelle et économique.
Une quête de justice fondée sur l’autonomie
Pour Luc Gnacadja, l’Afrique est confrontée à deux blessures invisibles bien plus dévastatrices que la spoliation de ses richesses : l’épistémicide et le complexe d’extranéité. Ces maux ont progressivement marginalisé les systèmes de pensée africains, créant un décalage entre les réalités locales et les modèles importés, souvent étrangers à la culture africaine. Pour l’auteur de la tribune, l’épistémicide a effacé nos savoirs ancestraux, tandis que le complexe d’extranéité a engendré une dépendance intellectuelle qui fait que trop d’Africains valorisent les systèmes et modèles étrangers au détriment de leurs propres racines.
Il évoque à cet égard des images fortes, telles que la célèbre « Porte du Non-Retour » de la ville d’Ouidah, un symbole de la tragédie de l’esclavage, et l’appel au « Retour » qu’elle incarne. Pour l’ancien ministre, cette porte doit incarner non seulement un retour vers notre histoire, mais aussi vers une redécouverte de notre pensée et de notre identité. « Ce n’est pas la perte de richesses qui nous affaiblit, mais l’effacement de nos propres systèmes de pensée », souligne-t-il. Une phrase simple, mais d’une puissance redoutable, qui résume toute l’ambition du continent, à savoir se libérer des chaînes invisibles de la dépendance culturelle et intellectuelle.
L’illusion des réparations : un piège à éviter
Luc Gnacadja se veut lucide face à l’appel aux réparations qui se fait entendre dans de nombreuses capitales africaines. Bien qu’il reconnaisse la dimension morale de cette quête, il avertit qu’« aucune nation n’a obtenu justice par la seule revendication. » Si l’Afrique veut obtenir justice, elle ne doit pas compter sur des compensations financières ou des excuses venant de ceux qui ont construit leur prospérité sur son exploitation.
Prenant l’exemple de la Chine, qui a su se relever après les humiliations des guerres de l’opium, et du Rwanda, qui, après le génocide de 1994, a privilégié l’éducation et l’innovation pour sa résilience, Luc Gnacadja plaide pour une démarche autonome. Ce n’est pas en attendant une réparation extérieure que l’Afrique se relèvera, mais en devenant un acteur incontournable sur la scène mondiale, capable de définir ses propres règles et son propre avenir. « La vraie justice ne se mendie pas, elle se conquiert », insiste-t-il, soulignant la nécessité de repenser les relations internationales sur des bases de respect mutuel et de souveraineté.
L’éducation comme clé de la renaissance africaine
L’appel à une révolution éducative est au cœur de la tribune de Luc Gnacadja. Il s’attaque frontalement à l’héritage colonial qui continue de façonner les systèmes scolaires africains. Plutôt que de reproduire les modèles occidentaux, l’Afrique doit décoloniser ses esprits et ses systèmes éducatifs, en intégrant pleinement ses langues et ses traditions intellectuelles dans les programmes. L’histoire, la philosophie et les savoirs africains doivent devenir les piliers d’une éducation capable de former des leaders autonomes, engagés dans la transformation de leur propre continent.
Il plaide aussi pour une souveraineté économique retrouvée. L’Afrique doit protéger et valoriser ses ressources naturelles, mais aussi développer ses propres systèmes de propriété intellectuelle, à même de soutenir l’innovation locale. À travers l’investissement dans la recherche et le développement, l’Afrique pourra enfin se libérer de sa dépendance et se positionner comme un acteur majeur dans l’économie mondiale.
L’ancien sous-secrétaire des Nations Unies conclut sa tribune par un appel résolu à l’action « Se réparer nous-mêmes, sans attendre des réparations : voilà la véritable renaissance africaine. » L’Afrique ne doit plus être perçue comme une victime. Elle doit redevenir un moteur civilisationnel, un continent capable de déterminer son avenir par ses propres moyens. La justice, selon lui, ne viendra pas de l’extérieur. Elle viendra de l’intérieur, à travers une éducation réinventée, une souveraineté reconquise et une pensée indépendante.