Par Djawad BEHANZIN, Juriste, Directeur Général du Cabinet d’Étude et de Formation en Droit Consulting et Consultant à C36
La question des abus de la détention provisoire est un sujet de plus en plus débattu au Bénin. Cette pratique, qui porte atteinte aux droits fondamentaux des citoyens, suscite de vives préoccupations. Dans un contexte où la justice béninoise peine à garantir l’effectivité des décisions rendues par la Cour constitutionnelle, la mise en place d’un dialogue des juges apparaît comme une réponse potentielle aux défis actuels, notamment en matière de détention provisoire.
C’est cette réflexion qu’éveille le discours d’ouverture prononcé par le Professeur Dorothée SOSSA, président de la Cour constitutionnelle, à l’occasion du séminaire consacré au dialogue entre le juge de la constitutionnalité et le juge de la légalité, tenu les 25 et 26 novembre 2024, en présence des principaux acteurs de la justice béninoise
Un constat alarmant : Les limites des décisions de la Cour constitutionnelle
La Cour constitutionnelle du Bénin, tout en jouant son rôle fondamental de garant des droits humains, se retrouve souvent dans une position délicate lorsqu’il s’agit de traiter les abus de la détention provisoire. En effet, malgré l’importance de ses décisions, notamment celles déclarant abusives certaines détentions prolongées, ces décisions ne sont pas toujours accompagnés de mesures concrètes. La libération des détenus reste en effet du ressort du juge judiciaire, ce qui met en lumière une limite institutionnelle majeure : la Cour constitutionnelle n’a pas le pouvoir d’ordonner directement la libération des personnes injustement détenues.
Ce phénomène soulève une question légitime à savoir comment faire en sorte que les droits reconnus par la Cour constitutionnelle aient un impact direct et immédiat sur la situation des justiciables ?
Le dialogue des juges : une solution au service des droits fondamentaux
Le Professeur SOSSA propose une solution pragmatique à cette problématique : le dialogue des juges. Cette pratique, qui s’inspire des modèles européens et anglo-saxons, permettrait de rapprocher les juges constitutionnels des juges judiciaires, afin de renforcer l’efficacité de la justice, notamment dans la gestion des détentions provisoires abusives.
D’après le professeur, ce dialogue pourrait prendre plusieurs formes : le dialogue d’autorité, où un juge supérieur impose son interprétation à un juge inférieur ; le dialogue de persuasion, qui repose sur des échanges horizontaux visant à convaincre sans contraindre ; et le dialogue de partage, où les juridictions collaborent étroitement pour élaborer une interprétation commune des normes juridiques. Dans le cadre de la détention provisoire, ce dernier type de dialogue pourrait permettre aux juges d’harmoniser leurs décisions et d’intervenir plus efficacement avant même que la Cour constitutionnelle ne soit saisie.
Les défis de la mise en place d’un dialogue efficace
Mettre en œuvre un tel dialogue n’est pas sans obstacles. Le système judiciaire béninois est structuré autour de juridictions aux compétences clairement définies. Le risque de conflits de compétences est réel, ce qui pourrait entraver l’efficacité de la démarche. Par exemple, comment s’assurer que les juges judiciaires prennent en compte les principes constitutionnels sans empiéter sur le rôle de la Cour constitutionnelle ? Inversement, jusqu’où la Cour constitutionnelle peut-elle guider les juges judiciaires sans empiéter sur leurs prérogatives ?
Cependant, au-delà de ces questions, il est essentiel de considérer les bénéfices potentiels d’un dialogue entre les différentes juridictions. En harmonisant les jurisprudences, ce dialogue pourrait non seulement contribuer à éviter les abus de détention provisoire, mais également renforcer la confiance des citoyens dans le système judiciaire béninois. Actuellement, l’écart entre la reconnaissance des droits par la Cour constitutionnelle et la mise en œuvre de ces décisions engendre frustration et méfiance. Un dialogue efficace pourrait permettre de combler ce fossé.
Un appel à l’action : moderniser la justice Béninoise
Le discours du Professeur SOSSA est un appel clair à la modernisation du système judiciaire béninois. Il propose d’aller au-delà des frontières institutionnelles, en favorisant une coopération entre les juges afin de garantir une justice plus équitable et plus humaine. En instaurant un dialogue des juges, le Bénin pourrait franchir une étape importante vers la protection effective des droits fondamentaux de ses citoyens, notamment en matière de détention provisoire.
Il est impératif que les différentes parties prennent des mesures concrètes pour instaurer ce dialogue. Cela nécessite une volonté politique et une forte collaboration entre les différentes juridictions. Si bien encadré, ce dialogue pourrait devenir un pilier du renforcement de l’État de droit et de la confiance des citoyens envers leurs institutions judiciaires.
En somme, le dialogue des juges représente une opportunité unique pour le Bénin d’améliorer son système judiciaire, de renforcer la protection des droits fondamentaux, et d’offrir une justice réellement accessible et équitable à tous. Ce n’est pas une panacée, mais une démarche qui pourrait transformer la justice béninoise et garantir que les droits des citoyens sont protégés non seulement sur le papier, mais aussi dans la réalité quotidienne.