L’ÉVÉNEMENT, BÉNIN– Promulgué le 20 avril 2018 pour répondre aux défis du numérique, le Code du numérique béninois suscite depuis un bon moment des débats houleux. Si cette législation ambitieuse a marqué un tournant dans la transformation digitale du pays, elle est également pointée du doigt pour ses implications sur les libertés individuelles. Dans une interview accordée à Pesce Hounyo, Dr Qemal Affagnon, responsable de la section Afrique de l’Ouest d’Internet sans Frontières (ISF), revient sur les efforts déployés pour corriger les failles de ce texte à travers un plaidoyer multiforme.
Un lobbying sur plusieurs fronts pour la réforme du Code
Depuis 2022, Internet sans Frontières s’est engagée dans un travail de plaidoyer rigoureux dans le cadre de l’Examen Périodique Universel (EPU), un mécanisme des Nations Unies. Dr Qemal Affagnon explique que son organisation a présenté aux missions diplomatiques de l’Estonie, du Canada, des Pays-Bas, de la Belgique et de la Croatie les forces et les faiblesses du Code du numérique du Bénin.
D’après lui, l’objectif initial était de saluer les avancées apportées par cette loi, qui a permis au Bénin de se positionner comme un modèle dans des secteurs tels que le commerce électronique ou la lutte contre la cybercriminalité. Cependant, l’organisation a rapidement mis en lumière le caractère liberticide de certaines dispositions. « Nous avons également attiré l’attention de ces cinq missions diplomatiques […] sur les interpellations sans convocation qui ont été opérées grâce à ce Code du numérique… », a-t-il ajouté.
Ce lobbying ciblé a permis d’obtenir l’appui de plusieurs pays, lesquels ont formulé 16 recommandations spécifiques lors de l’EPU du Bénin, dont 11 portant exclusivement sur les droits numériques.
Des recommandations pour une réforme urgente
Malgré les avancées obtenues, le défi reste immense. Depuis le troisième cycle de l’EPU, des appels ont été lancés pour que le Bénin aligne sa législation sur les normes internationales en matière de droits de l’homme. Ces recommandations attendent toujours d’être pleinement mises en œuvre, déplore Dr Affagnon.
Il précise que lors du quatrième cycle, tenu en 2022, le Bénin a reçu plus de 200 recommandations, dont une part importante portait sur la nécessité de garantir la liberté d’expression. Ces observations dénonçaient notamment l’utilisation abusive du droit pénal pour réprimer la contestation politique et sociale.
Pour accompagner cette transition législative, Internet sans Frontières a intensifié son travail sur le terrain en collaborant avec des parlementaires béninois. « Nous avons organisé deux sessions de travail avec les parlementaires du Bénin pour leur montrer, dans un premier temps, les dispositions du Code du numérique qui ne participent pas à la libre expression, afin que le législateur puisse ajuster sa position et mieux contribuer à la vivacité de la démocratie à travers ce Code », confie le responsable.
Un Code sous tension, entre ambition numérique et respect des libertés
Le Code du numérique béninois, bien que pionnier, cristallise les tensions entre la volonté d’innovation technologique et les exigences démocratiques. Selon Dr Affagnon, le Bénin aspire à devenir un hub technologique en Afrique, mais cela ne saurait se faire au détriment des droits fondamentaux.
Pour l’organisation, le maintien du dialogue avec les autorités béninoises est crucial. L’objectif est de s’assurer que les recommandations acceptées lors de l’EPU soient traduites en actions concrètes avant le prochain cycle.