Droits de l’Homme, Bénin – Malgré un rapport accablant dénonçant de graves violations des droits humains sous le régime actuel, le Bénin vient d’être réélu pour un mandat de trois ans au Conseil des droits de l’Homme de l’ONU. Cette réélection, qui fait écho celle d’octobre 2021, soulève déjà de nombreuses interrogations.
Le 9 octobre 2024, à l’issue d’un vote à bulletin secret, le Bénin a obtenu un siège au sein du Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies pour un mandat de trois ans. Le pays a recueilli 181 voix sur les 190 États membres ayant participé au scrutin. Cette réélection place le Bénin aux côtés de la Gambie, du Kenya, de la République démocratique du Congo et de l’Éthiopie, qui représenteront l’Afrique au sein de cette institution clé pour la défense des droits humains dans le monde.
À Cotonou, l’annonce de cette réélection a été relayée par les médias locaux après le vote, prenant de court une partie de l’opinion publique. Cependant, cette nouvelle nomination suscite la controverse, car elle intervient seulement un jour après la publication d’un rapport explosif intitulé « Les assassinats politiques au Bénin de 2019 à 2021 ». Rédigé par le journaliste d’investigation Marcel Zoumenou, avec le soutien de l’ambassadeur Omar Arouna, ce rapport met en lumière des violences graves commises sous le régime actuel.
Un rapport accablant sur les assassinats politiques
Ce rapport de 145 pages accuse directement les forces de sécurité béninoises d’avoir réprimé violemment les manifestations lors des élections législatives de 2019 et des présidentielles de 2021, qualifiées d’« exclusives ». Les auteurs du rapport dénoncent l’utilisation de la force létale contre des citoyens, ayant causé la mort de 25 personnes, dont deux femmes. Selon le rapport, les villes de Cotonou, Bantè, Savè, Ouèssè, Tchaourou, Parakou et Kandi ont été le théâtre de ces tragédies.
Le document, fruit de longues enquêtes, présente une analyse détaillée des événements ayant conduit à ces violences. « L’objectif principal de ce rapport est de documenter les crimes contre l’humanité perpétrés sous le régime de Patrice Talon et d’analyser la répression systématique de l’opposition politique et des voix dissidentes au Bénin », précise son auteur Marcel Zoumenou.
Le rapport énumère plusieurs cas marquants de violences meurtrières commises durant ces périodes troublées. Parmi eux, le cas de dame Prudence Amoussou, tuée lors des manifestations du 1er mai 2019, ou encore celui de Seydou Mama Assouma, victime des violences électorales. D’autres noms s’ajoutent à cette liste tragique, tels que Daniel M’po, Dimon Yaï Oscar, Mama Mamadou, Arouna Moussiliou et Béré Chabi.
L’exécution sommaire de Daniel M’po
L’un des récits les plus bouleversants, détaillé aux pages 55 et 56 du document, concerne l’exécution sommaire de Daniel M’po conducteur de taxi-moto, connu localement sous le nom de zémidjan. Selon le rapport, le 15 juin 2019 , après avoir déposé un client à Dio, un arrondissement de la commune de Savè, Daniel rentrait chez lui lorsqu’il fut confronté à un contrôle militaire au carrefour de Dido. Confiant, il ralentit et immobilisa sa moto, pensant qu’il s’agissait d’un simple contrôle de routine. Sans avertissement, les militaires ouvrirent le feu à bout portant, et Daniel fut tué sur le coup, sans aucune justification. Informés de la tragédie, ses parents se précipitèrent à Savè pour récupérer le corps de leur fils.
Après une longue bataille administrative, ils purent enfin ramener la dépouille de Daniel dans leur village natal, où il fut enterré selon les rites traditionnels. Ce récit, poignant et marqué par l’injustice, témoigne de la brutalité des forces de l’ordre dans un climat de répression généralisée.
Un autre récit, retrouvé à la page 49 du rapport, concerne Souradjou Olokou, tué dans sa ville natale de Savè le 26 février 2019. Le jeune homme, sans intention de participer aux manifestations, s’était approché de la route principale par curiosité après avoir entendu des tirs. D’après les témoignages de sa tante, Denise Chabi, Souradjou s’était dirigé vers un pont proche lorsqu’il a été abattu par les forces armées. « Les militaires ont rapidement emporté son corps sans vie, sans fournir d’explication à sa famille », précise le rapport.
Hilaire Atodjinou : L’étudiant martyr des violences électorales de Bantè
Les événements de 2021 ne sont pas en reste, avec notamment le cas de Philomène Lagougou Abalo, victime des affrontements. Le rapport revient également sur le sort tragique de Hilaire Atodjinou, un jeune étudiant de 25 ans abattu devant sa résidence familiale à Bantè le 8 avril 2021. Hilaire tentait de protéger sa famille dans un contexte tendu de répression des manifestations. Selon le témoignage de sa belle-mère, dame Pélagie Ganfon, Hilaire avait demandé à tous les membres de la famille de se réfugier dans les chambres en raison des affrontements en cours. Après avoir conduit les enfants en sécurité, il fut abattu en sortant pour rejoindre sa chambre.
Ces récits poignants, détaillés dans le rapport, révèlent la violence avec laquelle les forces de l’ordre ont répondu aux manifestations, souvent pacifiques, des citoyens béninois.
Silence des autorités béninoises
À ce jour, les autorités béninoises n’ont toujours pas réagi officiellement à ce rapport accablant. La plupart des médias locaux, malgré la gravité des faits documentés, continuent de passer sous silence ces informations. Pourtant, Marcel Zoumenou, auteur du rapport, est un journaliste professionnel respecté, actif depuis 2003, qui s’est illustré par son travail au sein du célèbre quotidien La Nouvelle Tribune.
Siéger dans une institution censée protéger les droits humains tout en étant accusé de violations de ces mêmes droits interroge sur la direction que prendra le pays dans les années à venir, notamment à l’approche des élections générales de 2026.