Opinion, Bénin – Le sociologue Jules Affodji ne mâche pas ses mots dans sa dernière tribune face à la publication du rapport Wendu 2024, qui place le Bénin en tête des saisies de drogues en 2023, avec plus de 16 000 kg interceptés. « Le Bénin drogué, quelle honte ! », écrit-il avec indignation.
Une déclaration percutante qui souligne le choc et l’amertume ressentis par beaucoup face à ce sombre classement. Derrière ce chiffre inquiétant, une réalité complexe et des conséquences profondes sur la société béninoise que le sociologue s’emploie à décrypter.
Une société au bord du gouffre
Docteur Jules Affodji peint un tableau sombre mais réaliste d’une société béninoise gangrenée par l’usage et le trafic de drogues. Il ne s’agit plus seulement de quelques incidents isolés, mais d’une véritable crise sociale qui touche tous les niveaux de la population, riches comme pauvres. « Dans le Bénin actuel, riches comme pauvres, on observe avec amertume le développement de communautés marginales », écrit-il avec acuité.
Dans ces communautés marginalisées, la drogue n’est pas seulement un moyen d’évasion, mais une ressource économique à part entière. Ce sont des quartiers où les autorités, locales comme nationales, semblent avoir perdu pied, laissant place à des bandes criminelles organisées et armées, qui exercent leur contrôle par la peur et la violence. Cette criminalité gangrène peu à peu le tissu social, étendant ses tentacules bien au-delà des quartiers pauvres. Ce que décrit le sociologue dans sa tribune, c’est une société « accablée par le désordre et la violence », une société où le trafic de drogue devient une norme, une réalité inextricable.
La toxicomanie, un mal aux racines profondes
Le sociologue ne se contente pas de pointer du doigt les symptômes de ce fléau. Il en dissèque les causes profondes, notamment la pauvreté et l’exclusion sociale. « Les personnes confrontées à des difficultés financières ou qui ont du mal à trouver un emploi peuvent être plus irascibles de chercher un soulagement dans les drogues », explique-t-il. Loin d’un simple acte de délinquance, la toxicomanie devient une issue pour ceux qui, marginalisés, n’ont plus d’espoir. Ces familles, souvent prises dans un cycle infernal de précarité et de chômage, voient dans l’illégalité une échappatoire, voire une nécessité.
Docteur Jules Affodji met en exergue cette fracture béante au sein de la société béninoise, où une partie de la population se sent rejetée, abandonnée par un système économique et social qui ne lui offre ni stabilité ni avenir. Ce désespoir, couplé à l’absence de perspectives d’emploi, pousse certains à se tourner vers le trafic de drogues, alimentant ainsi un cercle vicieux difficile à briser.
Les conséquences économiques : une économie parallèle
Le trafic de drogues, au-delà de son impact social, constitue un enjeu économique majeur. Dans un pays où le chômage atteint des sommets, l’économie parallèle générée par le trafic de drogues offre une alternative, certes illégale, mais rémunératrice pour une partie de la population. « Le trafic illicite donne du travail au personnel des laboratoires, aux grossistes, aux blanchisseurs de capitaux et aux revendeurs et trafiquants », détaille le sociologue, qui met en lumière cette économie souterraine florissante.
Cependant, cette prospérité illusoire n’est que de courte durée et se fait au détriment du développement légal du pays. Les nouveaux riches du trafic perturbent l’ordre social en finançant des réseaux criminels, alimentant ainsi un climat de méfiance et d’insécurité. Selon l’auteur de la tribune, ces criminels ne se contentent pas de prospérer dans l’ombre, ils s’imposent dans la société, recrutant parmi les exclus, et instaurent une véritable culture de l’impunité.
L’un des aspects les plus troublants de cette crise, comme le souligne monsieur Jules AFFODJI, est l’incapacité des autorités à la contenir. Les efforts déployés pour lutter contre le trafic de drogue semblent dérisoires face à l’ampleur du problème. « A peine les ont-ils déposés dans la geôle que ces rois de la robe noire, maladroits et honteux abandonnent la poursuite », dénonce-t-il. Cette phrase, cinglante, illustre une réalité glaçante : même lorsque les criminels sont arrêtés, les failles du système judiciaire et la corruption leur permettent souvent de s’en sortir indemnes.
Il n’hésite pas à qualifier la situation de « honte », et son indignation reflète un sentiment partagé par une grande partie de la population. Le Bénin, qui autrefois pouvait se targuer d’une certaine stabilité, se retrouve aujourd’hui au cœur d’un scandale international, avec un classement qu’il est difficile d’ignorer. « Il est comique et laid, ce classement », écrit-il, comme pour souligner l’ironie tragique de cette situation.
« Que faut-il faire, me taire devant cet étrange rapport Wendu ? ». Se taire, c’est accepter l’inacceptable, c’est fermer les yeux sur un problème qui menace de détruire le tissu social du pays. Face à cette crise, l’inaction n’est plus une option.