Justice, Bénin – Ibrahim Ousmane, détenu à la prison civile de Cotonou depuis plus de 16 ans sans avoir été jugé, reste prisonnier d’un système judiciaire qui peine à faire respecter ses droits fondamentaux. La Cour, une fois de plus le 12 septembre 2024 , s’est déclarée incompétente pour ordonner sa libération. Qu’est qui explique ce calvaire judiciaire interminable ?
Ibrahim Ousmane, ancien agent de sécurité, a été incarcéré en février 2008 pour vol qualifié. Depuis, il n’a jamais été présenté devant une juridiction de jugement, malgré une détention provisoire qui dépasse aujourd’hui 16 ans. Dans sa requête du 27 février 2024, enregistrée par la Cour constitutionnelle sous le numéro 0474/085/REC-24, Ousmane demande l’exécution de la décision DCC 22-068 du 24 février 2022. Cette décision reconnaissait déjà la violation de son droit à être jugé dans un délai raisonnable.
Dans son recours, Ousmane rappelle qu’il a saisi la Cour une première fois en décembre 2021 pour faire constater la prolongation abusive de sa détention provisoire. Il souligne que, malgré la décision de la Cour en 2022, les autorités judiciaires n’ont pris aucune mesure concrète pour mettre fin à sa situation.
La réponse des autorités judiciaires
Le juge du deuxième cabinet d’instruction du tribunal de première instance de Cotonou, directement impliqué dans cette affaire, a été interrogé par la Cour. Il a reconnu que la procédure contre Ibrahim Ousmane avait été ouverte dès février 2008, sous la référence COTO/2008/RP/00755. Cependant, il a précisé que l’instruction avait été clôturée le 10 décembre 2010, avec une transmission des pièces au procureur général près la Cour d’appel de Cotonou. Ce dernier élément semble avoir servi de justification pour ne pas présenter Ousmane devant une juridiction de jugement.
Toutefois, la Cour constitutionnelle, dans sa décision du 12 septembre 2024, a clairement affirmé que la clôture de l’instruction ne suffit pas à répondre à l’obligation constitutionnelle de présenter l’accusé devant une juridiction de jugement. Tant qu’une telle présentation n’a pas eu lieu, les autorités judiciaires continuent de violer les droits d’Ousmane.
Rapporteur de séance le juge constitutionnel Michel Adjaka, a présenté un rapport détaillé sur l’affaire. Ce rapport rappelait que, selon la décision DCC 22-068, il y avait une violation flagrante des droits d’Ousmane, notamment son droit à être jugé dans un délai raisonnable. Cependant, comme en 2022, la Cour s’est une fois encore déclarée incompétente pour se prononcer sur sa demande de mise en liberté.
Le rapporteur a souligné que la Cour ne peut intervenir que dans le cadre de ses prérogatives constitutionnelles. Elle a le pouvoir de reconnaître une violation des droits fondamentaux, mais elle ne peut pas ordonner la libération directe d’un détenu, une compétence réservée aux juridictions de jugement.
Une impuissance assumée de la Cour constitutionnelle
Malgré la reconnaissance des violations, la Cour constitutionnelle reste contrainte par ses limites légales. Les articles 114 et 117 de la Constitution béninoise définissent son champ de compétence, qui se limite à statuer sur la constitutionnalité des lois et à garantir les droits fondamentaux. En vertu de ces articles, la Cour ne peut pas se substituer aux juridictions de jugement, ce qui la prive du pouvoir d’ordonner la mise en liberté d’Ousmane.
La Cour a ainsi déclaré, une nouvelle fois, son incompétence sur la demande de libération, tout en réaffirmant la violation des articles 124 de la Constitution et 20 de la loi organique sur la Cour constitutionnelle. Ces dispositions imposent pourtant une exécution diligente des décisions de la Cour, obligation qui n’a toujours pas été respectée dans le cas d’Ousmane.
Le cas d’Ibrahim Ousmane illustre les dysfonctionnements persistants au sein du système judiciaire béninois. Malgré les décisions répétées de la Cour constitutionnelle, les autorités judiciaires n’ont pas encore pris les mesures nécessaires pour corriger cette violation des droits fondamentaux. Ousmane, comme de nombreux autres détenus provisoires au Bénin, continue d’attendre une justice qui semble toujours hors de portée.