Gouvernance, Bénin – Dans une interview exclusive avec Babylas Atinkpahoun du quotidien du service public, le professeur Aubain Godjo, jurisconsulte et expert en marchés publics, a livré une analyse pointue des sanctions dans le domaine des marchés publics, mettant en lumière les incohérences et les difficultés d’application du Code des marchés publics de 2020.
Selon le spécialiste, un ajustement des politiques de sanction serait nécessaire pour répondre aux réalités des fonctionnaires, tout en prenant en compte les limites de l’actuel système répressif.
Un Code des marchés publics aligné sur le Code pénal, mais aux effets parfois injustes
Interrogé sur l’adaptation des sanctions aux réalités des fonctionnaires, le Pr. Godjo a souligné que les sanctions “ne sont pas directement prévues dans le Code des marchés publics, mais dans le nouveau Code pénal”, ce qui inclut des infractions comme la corruption. Cette combinaison avec le Code pénal entraîne une rigueur parfois excessive, car “l’autorité de régulation applique des sanctions […] pouvant aller jusqu’à cinq ans”, une mesure lourde de conséquences, surtout pour les contractuels.
L’expert cite des cas concrets, comme celui d’un maire accusé de “saucissonnage” pour avoir acheté des motos en plusieurs tranches, une faute qui aurait pu être évitée par une meilleure connaissance du Code. Cette approche “illustre que la répression […] n’est pas adaptée” et que le renforcement des compétences des acteurs pourrait prévenir de telles erreurs.
Une mise en œuvre imparfaite nécessitant des clarifications de la part des régulateurs
Le Pr. Godjo critique également l’organe de régulation, qui, selon lui, émet souvent des “circulaires pour guider les acteurs sur des dispositions difficiles à appliquer”, posant ainsi la question de la légitimité de telles pratiques. Il estime que la loi doit primer sur les circulaires, car leur multiplication engendre “des lacunes” dans l’application du Code, et les acteurs peinent à s’y conformer.
Cette “politique publique assumée” de répression sévère est pourtant remise en question par le spécialiste, qui dénonce un manque de discernement dans le traitement des agents des marchés publics. Pour lui, le système actuel manque de nuances, et il plaide pour une distinction claire entre faute professionnelle et faute pénale. “Un électricien qui commet une erreur est soumis à des sanctions disciplinaires”, explique-t-il, tandis qu’un fonctionnaire des marchés publics pourrait, pour une erreur mineure, “se retrouver face à une sanction pénale”. Ce traitement rigide et souvent disproportionné nuit, selon lui, à l’efficacité des réformes du secteur.
Pressions et méconnaissance des textes : des facteurs souvent à l’origine des erreurs
Lors de l’interview, Babylas Atinkpahoun a soulevé la question des pressions auxquelles sont confrontés les responsables de marchés publics (Prmp), un sujet délicat sur lequel le jurisconsulte n’a pas hésité à s’exprimer. “Les Prmp sont confrontées à des pressions”, mais disposent souvent de moyens pour résister à ces sollicitations, tout en étant influencées par leur “personnalité et vision à long terme”. Le Pr. Aubain Godjo confie même avoir, dans le passé, insisté sur le respect des règles malgré les demandes de son supérieur de “contourner une procédure”.
Au-delà des pressions, la méconnaissance des règles est une cause fréquente des erreurs commises, comme le souligne le professeur. De nombreux agents des marchés publics ignorent les dispositions relatives aux conflits d’intérêts, un problème qui serait facilement évité par des formations adéquates. “Le renforcement des capacités est essentiel” pour pallier ces lacunes et améliorer la gouvernance des marchés publics, insiste-t-il.
Des réformes pour un système plus juste
Pour améliorer la situation, le Pr. Godjo propose une refonte du système qui passerait par une “meilleure professionnalisation” et des moyens adéquats pour les organes de contrôle. Il invite également à une révision globale des méthodes de sanction pour éviter que des fonctionnaires, placés sous mandat de dépôt, soient “relâchés faute de preuves suffisantes”. Le recours systématique à l’incarcération est, selon lui, inadapté et injustifié pour des agents “qui ne sont pas des fugitifs potentiels”. Il prône ainsi une politique plus nuancée qui, au lieu d’incarcérer, privilégierait des poursuites sans détention provisoire.
Enfin, le professeur Aubain Godjo, qui trouve que “le Code des marchés publics de 2020 n’est pas parfait”, appelle à une “pause pour évaluer l’impact de cette politique publique”, rappelant que, bien que le régime de la Rupture ait introduit de nombreuses réformes, certaines sanctions sont disproportionnées. Une réévaluation de ces pratiques, tenant compte des réalités du terrain, serait selon lui essentielle pour une meilleure justice et une gouvernance efficace.